Bodybuilding en France : une culture plus esthétique – et plus exposée aux substances de croissance

Bodybuilding en France : une culture plus esthétique – et plus exposée aux substances de croissance

GEORGE DESIPRIS pexels

En France, la musculation a longtemps été plus qu’un simple outil de santé. C’est une culture visuelle, une manière d’habiter son corps, de se présenter aux autres. Dans cette culture, les barres lourdes, les épaules rondes et les abdos creusés occupent parfois mehr de place que le mot « santé ». Là où les Allemands ont construit une tradition de fitness préventif, orienté dos, genoux et rééducation, la France a vu se développer des salles de musculation où le volume musculaire, la sèche et la définition sont devenus des objectifs centraux.

Conséquence inévitable: là où l’esthétique domine, les substances dites « de croissance » ou « d’amélioration des performances » trouvent un terrain fertile. Et certains drames, bien que rarement totalement élucidés, rappellent brutalement que derrière les selfies de vestiaire se cachent aussi des histoires qui se terminent à l’hôpital ou en salle d’autopsie.

Une culture plus “physique” que “prévention”

Si l’on compare la France à l’Allemagne, la différence saute aux yeux. En Allemagne, une grande partie du marché est occupée par des chaînes standardisées, très orientées santé, prévention et rééducation. En France, le tissu de petites salles de musculation indépendantes et de gyms de quartier a longtemps dominé, avec une forte identité « culturisme ».

Le corps n’est pas seulement un indicateur de bien-être, il devient carte de visite, vitrine, parfois même projet de vie. Dans ce contexte, vouloir progresser plus vite, sécher plus fort ou dépasser ses limites est presque inscrit dans les murs. La musculation française a été influencée par le culturisme américain, mais aussi par une culture méditerranéenne où l’apparence physique joue un rôle social important.

Cela ne signifie pas que tous les pratiquants sont dopés, loin de là, mais le terrain est plus favorable à l’idée que l’on puisse « aider » la nature.

Stéroïdes, SARMs, GH : ce que l’on sait de l’usage

Dans les salles françaises, les produits évoqués vont bien au-delà des simples compléments alimentaires. Les stéroïdes anabolisants classiques, les dérivés de testostérone, les SARMs, certains peptides ou l’hormone de croissance circulent de manière plus ou moins discrète. Les autorités sanitaires, comme l’Agence française de lutte contre le dopage ou l’ANSM, alertent régulièrement sur ces molécules, souvent achetées sur Internet, sans contrôle de qualité, et utilisées sans suivi médical.

Officiellement, les chiffres restent difficiles à quantifier, car la majorité des usages se fait dans la clandestinité. Mais les médecins du sport, les cardiologues et les urgentistes voient de plus en plus de jeunes hommes avec des profils typiques : masse musculaire élevée, antécédents d’usage de « produits », et des anomalies cardiaques ou hépatiques qui ne correspondent pas à un simple excès de protéines.

Usage perçuRéalité observéeRisques documentés
« Certains pensent que seuls quelques pratiquants se dopent »Usage discret mais présent dans plusieurs salles indépendantesHypertrophie cardiaque, troubles du rythme
« Les SARMs seraient plus sûrs que les stéroïdes »Produits achetés en ligne, pureté et dosage variablesToxicité hépatique, suppression hormonale
« Le DNP aide juste à sécher »Cas de décès médiatisés de jeunes pratiquantsHyperthermie, défaillance multiviscérale
« Les conseils des forums suffisent »Protocoles amateurs, erreurs de dosageAccidents cardiaques, AVC, dommages hépatiques

Les morts qui inquiètent sans tout expliquer

Sur le plan médiatique, quelques cas ont marqué les esprits en France. Celui d’un jeune pratiquant, une vingtaine d’années, mis en lumière dans un documentaire de L’Équipe sur une « génération muscu sous stéroïdes », mort après la prise d’un brûleur de graisse à base de DNP, une substance hautement toxique initialement utilisée comme produit industriel.

Dans d’autres affaires rapportées par la presse ou décrites dans des revues médico-légales, on retrouve des profils de jeunes bodybuilders décédés brutalement, chez lesquels les analyses toxicologiques ont mis en évidence la présence de stéroïdes anabolisants et, parfois, d’autres molécules.

Ce qui est important à dire, pour rester honnête et juridiquement prudent, c’est que la science ne peut presque jamais affirmer : « cette personne est morte uniquement à cause de tel produit ».

Les décès sont le résultat d’un ensemble de facteurs – prédispositions cardiaques, dosage, durée d’usage, autres pathologies, environnement – mais la présence de ces substances montre clairement que la frontière entre performance et danger a été franchie.

Ce qui est prouvé, ce qui ne l’est pas

Ce que la littérature scientifique documente bien, en revanche, ce sont les effets de fond. L’usage prolongé de stéroïdes anabolisants augmente le risque d’hypertrophie ventriculaire, de troubles du rythme, d’hypertension artérielle et de thromboses. Des travaux menés en Europe et en Amérique du Nord montrent une surmortalité chez les anciens bodybuilders de haut niveau, notamment pour des causes cardiovasculaires.

Ce que l’on ne peut presque jamais établir avec certitude, c’est le lien direct entre un produit précis, une dose donnée et un décès individuel. Les exemples français médiatisés sont donc des « témoins » d’un phénomène – une jeunesse prête à prendre des risques avec des molécules puissantes – plus que des verdicts scientifiques définitifs. Le problème n’est pas seulement qu’il y ait quelques morts, mais que la perception du risque reste largement sous-estimée dans le quotidien des salles.

Pourquoi ces produits circulent-ils autant dans les salles françaises ?

La réponse tient à la fois à la structure du marché et à la culture des salles. Dans de nombreuses « petites » salles françaises, l’ambiance est familiale, communautaire, presque tribale. On s’y connaît, on s’y tutoie, on partage des programmes, des recettes et parfois des produits. À la différence de grandes chaînes anonymes, il existe des réseaux d’influence informels : l’athlète très massif qui devient référence, l’ami « qui connaît quelqu’un », le coach officieux qui « sait comment doser ».

Les réseaux sociaux renforcent cette dynamique. Les physiques extrêmes sont récompensés par des likes, des abonnés, des partenariats potentiels. Dans ce contexte, l’idée de « passer à la vitesse supérieure » avec des substances de croissance semble presque logique pour certains. On oublie simplement que le corps, lui, n’a pas été conçu pour suivre ces accélérations chimiques.

France vs Allemagne : deux visions du même haltère

Comparer la France et l’Allemagne permet de mieux voir ce qui se joue. En Allemagne, la musculation s’est longtemps développée dans un environnement très encadré, avec un fort lien à la physiothérapie, à la rééducation et à la prévention des douleurs de dos. Les physiques extrêmes y restent une niche. En France, la musculation a plus rapidement intégré une logique de transformation esthétique ambitieuse : se sculpter, se « dessiner », être sec l’été. Le mot « muscu » est chargé d’images de biceps gonflés et de salles très masculines.

Cette différence de départ explique en partie pourquoi la demande pour des substances d’amélioration est plus forte au sud du Rhin. Là où l’objectif est de rester fonctionnel, la chimie apparaît vite comme inutile. Là où l’objectif est de repousser les limites visuelles du corps, la tentation existe presque toujours.

Le silence des salles et le tabou des médecins

Une autre spécificité française est le silence qui entoure la question. Beaucoup de gérants de salles préfèrent ne pas « voir » le problème, par peur d’abîmer la réputation de leur établissement ou de perdre des clients. Les médecins de ville, de leur côté, ne sont pas toujours formés à reconnaître les signes d’une consommation de stéroïdes ou de SARMs, ou hésitent à en parler frontalement avec un patient qui vient « juste pour un certificat ».

Entre ces deux mondes, le pratiquant est souvent livré à lui-même, guidé par les forums, les réseaux sociaux et des conseils de vestiaire. Les décès médiatisés, les études médico-légales et les avertissements des agences de santé dessinent pourtant une réalité : le dopage de salle n’est plus réservé à quelques culturistes extrêmes, il touche aussi des étudiants, des jeunes actifs et des pères de famille qui voulaient, au départ, simplement « prendre un peu de muscle ».

Et maintenant ? Muscler le discours, pas les rumeurs

Parler de stéroïdes et de substances de croissance en France, ce n’est pas désigner des coupables, ni accuser une nation d’être « plus dopée » qu’une autre. C’est reconnaître que la combinaison d’une culture très esthétique, de salles de musculation communautaires, de produits facilement accessibles en ligne et de peu de dialogue médical crée un terrain à risque. Les décès rendus publics – même s’ils ne prouvent pas à eux seuls une cause unique – sont des signaux d’alarme que l’on aurait tort d’ignorer.

Un discours honnête consisterait à dire : oui, ces produits existent dans les salles françaises, oui, certains paient le prix fort, et non, il n’est pas nécessaire d’y toucher pour progresser. Pour les pratiquants comme pour les coachs, la vraie évolution consiste à remettre la santé au centre, à accepter des progrès plus lents, à normaliser les discussions sur les risques et, surtout, à ne pas transformer le corps en champ d’expérimentation chimique au nom d’un idéal physique qui, lui, ne risque pas de finir en autopsie.

Références indicatives : Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) – rapports annuels sur le dopage amateur ; Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) – mises en garde sur les stéroïdes anabolisants et le DNP ; articles de presse de L’Équipe et Le Monde sur les décès de jeunes pratiquants liés à l’usage de brûleurs de graisse ou de produits anabolisants ; études médico-légales publiées dans des revues internationales sur la mortalité cardiovasculaire chez les bodybuilders.

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